
Gladys
Témoignage écrit par sa fille Charlène
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Cela fait déjà deux mois que ton âme a prit congé de ton corps…
Je me revois ce matin là du deux novembre à n’avoir plus de larmes pour évacuer mon chagrin, à ne sentir qu’un étrange sentiment d’anesthésie général. Je suis comme spectatrice de cette scène mortuaire, dans cette chambre où je songe qu’on contemple ton corps pour la dernière fois. Mais à cet instant quand je pose mes yeux sur ton cadavre inerte je ne te reconnais pas. Tu ne ressembles plus à la femme vive et généreuse que tu as été. Tu n’es pas là.
Tu n’es pas dans cette chaire maigre et sans vie.
Je quitte d’ailleurs la pièce assez vite, le cœur vide et les yeux secs, comme stupéfaite par mon état de figement interne.
J’ai du mal à réaliser.
C’est là, à l’entrée de la chambre mortuaire, alors que les hommes du service funéraire viennent pour sceller le cercueil que je te sens. Tu es là, avec nous, qui formons un pauvre cercle d’épaules voûtées, de mouchoirs bruyants et d’œil vitreux. Oui, tu es là. Je te sens heureuse de nous voir réunis, nous, les gens que tu aimes pour célébrer ton départ.
C’est à l’église que je suis rattrapée par les larmes.
Papa, F., H. S. et moi sommes assit au premier rang face à l’orgue et au pupitre.
Tout me semble irréel. Ces visages connus rassemblés ici, les mots du prêtre qui s’emmêlent sans saveur à mon cerveau brumeux, ta photo souriante, les bougies, les fleurs.
Je parviens à me lever pour rejoindre tes collègues de chants. Nos voix s’élèvent en canon sur le Dona Nobis Pacem que vous faisiez souvent. Puis avec ton amie M. nous entonnons en duo l’Agnus Dei de Gounod que nous avions chantés ensemble de nombreuses fois.
A ce moment si solennel ma voix souple et ronde s’élève d’elle même, sans effort, autonome...car mon esprit et mon corps sont figés, comme un insecte dans la confiture.
Je songe que c’est grâce à toi que je connais la musique, par toi que j’ai découvert l’amour du chant. Je repense à notre premier stage sur l’île de Noirmoutier, à tes efforts pour me faire lire la partition. Je revois nos années de chorale avec Imo Cordis où nous avons partagés duo, travail, concerts, rires et larmes ; les chefs de chœur qui ont défilés ; ces petits bijoux d’Eduardo Malachevsky et Raphaël Passaquet mes préférés, des maîtres de précision et de bienveillance.
De mes 17 à mes 25 ans, ce voyage dans la musique classique contemporaine m’a forgé une expérience et des compétences qui me resteront à jamais. Je mesure l’ampleur de cet héritage et mon cœur débordant de gratitude chante sans sourciller, comme pour te faire honneur. Merci Maman. Je sais que de là haut tu as été fière de moi.
Quand je m’assois à nouveau sur ma petite chaise de bois c’est au tour de ta sœur de prendre la parole. Elle tient dans les mains la lettre d’Adieu que tu nous a écrit. Je tremble, plonge vers Hugo pour récupérer un paquet de mouchoir, le suspense et la tension sont au paroxysme. Une morte qui s’adresse aux vivants le jour de son enterrement c’est pas commun. Je sens tous les souffles comme suspendus dans l’assemblée, tous les regards accrochés aux lèvres de Dominique qui commence la lecture.
Tu as cité tout le monde. Tes amis présents, ta famille, tes enfants, Papa, S.
Encore une fois tu m’épates de ta prévoyance, de ta conscience et de ton talent pour communiquer. Toi qui à peine enceinte lisais Françoise Dolto, es devenue psy par la suite, à su instaurer un climat de dialogue émotionnel à la maison, tu as également su partir avec élégance à travers tes mots et le soin de dire au revoir à chacun.
Je songe à ces derniers mois, où sachant ta mort imminente tu as mis en place des projets de transmission. D’abord en récoltant auprès de Mamie et Dominique toutes les recettes de famille pour en faire un livre commun. Ensuite en nous invitant avec H. et F. a constituer un grand poster souvenir des photos de nous quatre que tu as fait imprimer en puzzle. Avec H. vous avez fait nos portraits en pixel art et F. a crée un jeu de chasse au trésor mémorable remplie d’anecdotes familiales. Tout cela ressemblait fort à des adieux. Je le savais mais une partie de moi ne pouvait pas y croire.
Tu m’as évoqué l’idée d’enregistrer un dernier duo ensemble. Mais quand je t’ai proposé « Ma Chérie » d’Anne Sylvestre nous n’avons pas pu sortir un son. La chanson raconte comment une maman sacrifie ses ailes, sa liberté pour permettre à sa fille de déployer les siennes. Très chargée d’amour. Et ces ailes m’évoquaient alors ta libération imminente vers un autre monde. Nous n’enregistrerons jamais ce chant ensemble mais il restera à mes yeux liés à nous et à cette belle relation mère-fille que nous avons vécue.